Nicole PoussinesPsychanalyste à Béziers
L'angoisse en psychanalyse
L’angoisse en psychanalyse : de l’affect princeps au signal protecteur
L’angoisse occupe une place centrale dans la théorie et la clinique psychanalytiques. Freud n’a cessé d’en interroger la nature et la fonction, au point de lui consacrer plusieurs révisions théoriques. Affect insaisissable, expérience universelle et pourtant singulière, l’angoisse ne saurait se réduire à la simple anxiété contemporaine ou au stress quotidien : elle révèle une vérité du sujet, sa confrontation à l’excès, au manque, au désir et à la loi.
Le prototype de l’angoisse : l’état de désaide
Freud situe le prototype de l’angoisse dans l’expérience inaugurale de la naissance. L’enfant, arraché au corps maternel, est confronté à un état de Hilflosigkeit (désaide) : incapacité radicale à satisfaire seul ses besoins vitaux, vécu d’impuissance et de dépendance absolue.
Il écrit :
« Nous nous disons que c’est l’acte de la naissance ; au cours de celui-ci se produit ce groupement de sensations de déplaisir, de motions d’éconduction et de sensations corporelles qui est devenu le prototype de l’effet provoqué par un danger pour la vie et qui est répété par nous depuis lors sous forme d’état d’angoisse. […] l’acte de la naissance est la source et le prototype de l’affect d’angoisse. » (Œuvres complètes, XIV, PUF, 2000, p. 411-412).
Ainsi, dès l’origine, l’angoisse se distingue de la peur : cette dernière est dirigée vers un objet externe identifiable, alors que l’angoisse surgit sans objet, comme état d’attente face à un danger indéterminé.
De la première à la seconde théorie de l’angoisse
Entre 1894 et 1905, Freud conçoit l’angoisse comme le résultat d’une décharge d’excitation sexuelle non élaborée. Cette conception s’inscrit dans sa réflexion sur les névroses actuelles (notamment la névrose d’angoisse). L’angoisse apparaît alors comme une réaction purement économique, liée à l’accumulation de tensions non transformées psychiquement.
Cependant, Freud révisera cette approche, jugée trop centrée sur l’économie pulsionnelle. À partir de 1920, il élabore la seconde théorie de l’angoisse : l’angoisse n’est plus seulement une décharge, mais un signal émis par le Moi.
- Dans sa forme brutale, elle peut prendre la forme d’une angoisse automatique, proche de l’effroi.
- Mais elle est surtout un signal d’angoisse : une alarme protectrice anticipatrice qui prépare le Moi à activer ses défenses (refoulement, formation de symptômes).
« Le Moi est le lieu de l’angoisse proprement dit […] L’angoisse est un état d’affect qui ne peut naturellement être éprouvé que par le Moi. » (Œuvres complètes, XVII, PUF, 1992, p. 256).
Les différentes formes d’angoisse
Freud distinguera ensuite plusieurs formes d’angoisse, selon l’origine du danger perçu :
- L’angoisse de réel : réaction proportionnée face à un danger concret extérieur. Elle s’apparente à la peur, mais avec une tonalité affective plus intense.
- L’angoisse névrotique : surgit face à un danger interne, lié aux pulsions inconscientes. Le Moi ne peut y échapper par une fuite physique, mais seulement par des défenses psychiques.
- L’angoisse morale : issue de la sévérité du Surmoi, elle se manifeste sous forme de culpabilité, honte, auto-punition. Elle exprime la menace de perdre l’amour du Surmoi ou d’encourir sa sanction.
Valeur clinique et fonction protectrice
L’angoisse est inconfortable, parfois insupportable, mais elle joue une fonction essentielle : elle est protectrice. Elle permet au Moi d’anticiper un danger et d’organiser une réponse défensive. Sans elle, le sujet risquerait d’être sidéré, envahi par le trauma.
Freud le souligne :
« La conception actuelle de l’angoisse comme un signal intentionnellement donné par le Moi, aux fins d’influencer l’instance plaisir-déplaisir, nous rend indépendants de cette contrainte économique. » (Œuvres complètes, XVII, PUF, 1992, p. 255).
Lacan radicalisera cette lecture en affirmant que « l’angoisse n’est pas sans objet » : elle surgit précisément quand l’objet du désir vient à manquer, révélant la place centrale du manque et du désir dans la structure du sujet.
Pour conclure
L’angoisse est à la fois souffrance et ressource : elle alerte, protège et oriente. Elle est le cri premier du sujet, mais aussi le seuil où se décide son rapport au désir et à la loi. Pour le clinicien, elle demeure un indicateur majeur du conflit psychique et un lieu privilégié d’élaboration dans le cadre analytique.
Octobre 2025
Nicole Poussines
Psychanalyste
Psychanalyste
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